1985

L’image des langues américaines au XVIIIe siècle est avant tout une anti-image. Cela n’implique nullement que le XVIIIe siècle européen ignore les langues du Nouveau Monde ou qu’une base de données y manque. Dès la Renaissance, l’Européen découvrait l’Autre, ce qui a mené inévitablement à la découverte des langues «exotiques». Par la suite, l’esprit encyclopédique de l’époque a inspiré les grands recensements des langues du globe – à commener par le Monde Primitif (1773-1782) de Court de Gébelin – qui cataloguent un certain nombre de langues de l’Amérique du Nord et du Sud. Néanmoins, l’étude de ces langues non-européennes ne figure pas au centre de la réflexion langagière des Lumières. La question est, en fait, si marginale qu’il faut repiécer, ou même bricoler, une image des langues américaines à partir de très peu de matériaux. Mais une paucité relative de données n’implique pas forcément une anti-image. Or, si le sujet des langues amérindiennes est tout à fait absent, par exemple, du grand courant de la grammaire générale, c’est parce que la théorie du langage à indirectement réussi à reduire à zéro les langues américaines du point de vue psychologique et cultural. A vrai dire, les Lumières – l’Age de Raison – les a effectivement dérationalisées. Dans cette perspective, les discussions disparates autour de la langue huronne sont devenues en France précisément une sorte de cas paradigmatique de toutes les langues américaines, car elles illustrent les deux stratégies de cette dérationalisation.

Par ailleurs, l’image, ou l’anti-image, des langues américaines s’explique directement en fonction de la théorie de l’homme et de la société. Cette image se dégage des grandes problématiques bien connues du bon sauvage de l’état de la nature, et du progrès; elle s’informe aussi des préjugés politiques et religieux qui ont d’abord engendré et ensuite justifié la colonisation d’une terre et la conversion d’un peuple; bref, elle s’insère dans toute la «querelle du Nouveau-Monde» qui délimite une grande partie du champ intellectuel des Lumières.

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