1982

Dans son introduction à l’Essai sur l’origine des connaissances humaines Condillac propose comme principe cohésif et structural de l’ouvrage “l’étude de l’esprit humain, non pour en découvrir la nature, mais pour en connoître les opérations, observer avec quel art elles se combinent, et comment nous devons les conduire, afin d’acquérir toute l’intelligence dont nous sommes capables”.1 En effet, les trois mots-clés du passage – nature, opérations, et art – ébauchent la structure de l’Essai: Condillac prend comme point de départ les opérations de l’esprit dans la première partie, puis dans la troisième et dernière section, “De la méthode”, il précise la place de l’art dans l’ordre de nos connaissances. Entre les opérations initiales et la réalisation de l’art se dévoile le développement du langage. Ce processus linguistique joue un rôle crucial dans l’acquisition de “toute l’intelligence dont nous sommes capables” et se déroule, il va sans dire, au sein de la nature. Toute la dynamique de l’Essai relève en fait de l’omniprésence du concept de la nature et du cumul de valeurs que ce mot-carrefour acquiert à travers l’ouvrage. Aussi le triangle nature-naturel-naturellement forme-t-il une sorte de pierre angulaire sur laquelle Condillac bâtit et son analyse des opérations de l’âme et son histoire du langage.

Les questions esthétiques et morales mises à part, le concept de la nature dans l’Essai fonctionne de prime abord en tant que principe euristique servant à guider le philosophie dans ses recherches de la métaphysique. Dans les deux grandes parties parallèles, Condillac esquisse l’abord les étapes de la conscience qui s’éveille et ensuite l’émergence du langage, en soulignant les progrès naturels de chaque développement. Affirmer que pour Condillac les démarches les plus élémentaires et les formes les plus hautes de la connaissance ne diffèrent que par degrés est une banalité; d’ailleurs, la grande étude de Jean Ehrard (1963) a déjà exploré les multiples faces de la nature et a démontré comment le XVIIIe siècle dépasse certaines antinomies, par example, celle de la nature/coutume. En revanche, on ne remarque pas d’ordinaire que Condillac, lui au moins, ne maintient la différence entre nature et art que par degrés aussi et que la “résolution” de l’antique dialectique nature/art met en oeuvre une profonde méfiance à l’égard de la nature-guide. Or, Condillac double son Essai d’un examen de la nature, non pour apprendre à la suivre mais plutôt pour la maîtriser et la guider, mais cette analyse reste implicite et s’accomplit au moyen de la maîtrise du langage. La nature, par conséquent, assume un rôle double et même subreptice dans l’Essai: d’une part, elle figure pour sauvegarder la psychologie sensualiste radicale, et d’autre part, elle finit par se confrormer aux exigences langagières du philosophe.

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